dimanche 14 mars 2010

Lévi-Strauss

C’est maintenant […] qu’exposant les tares d’un humanisme décidément incapable de fonder chez l’homme l’exercice de la vertu, la pensée de Rousseau peut nous aider à rejeter l’illusion dont nous sommes, hélas ! En mesure d’observer en nous-mêmes et sur nous-mêmes les funestes effets. Car n’est ce pas le mythe de la dignité exclusive de la nature humaine qui a fait essuyer à la nature elle-même une première mutilation, dont devaient inévitablement s’ensuivre d’autres mutilations ? On a commencé par couper l’homme de la nature, et par le constituer en règne souverain ; on a cru ainsi effacer son caractère le plus irrécusable à savoir qu’il est d’abord un être vivant ? Et en restant aveugle à cette propriété commune, on a donné champ libre à tous les abus. Jamais mieux qu’au terme des quatre derniers siècles des son histoire l’homme occidentale ne put-il comprendre qu’en s’arrogeant le droit de séparer radicalement l’humanité de l’animalité, en accordant à l’une tout ce qu’il retirait à l’autre, il ouvrait un cycle maudit, et que la même frontière, constamment reculée, servirait à écarter des hommes d’autres hommes, et à revendiquer au profit de minorités toujours plus restreintes le privilège d’un humanisme corrompu aussitôt pour avoir emprunté à l’amour-propre son principe et sa notion.
 
Anthropologie structurale, Lévi-Strauss, p53.

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